Et si la clé de nos souffrances psychologiques résidait non pas uniquement en nous-mêmes, mais dans la manière dont nous interagissons avec les autres ?
- rmppsychologue
- 4 nov. 2024
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1. Introduction
Depuis ses débuts, la psychologie a tenté de percer les mystères de l’esprit humain en se concentrant principalement sur les mécanismes internes tels que la cognition, la perception et la biologie des émotions (Eysenck, 1992 ; Schacter, Gilbert & Wegner, 2009). Bien que cette approche ait posé les fondations essentielles pour une meilleure compréhension de l’être humain, elle a eu tendance à prioriser une vision intrapsychique des problématiques psychologiques. Ce biais individuel a souvent réduit la compréhension de la souffrance humaine à une perspective centrée sur les processus internes de l’individu, minimisant ainsi l’impact fondamental des relations interpersonnelles (Bowlby, 1988 ; Fonagy & Target, 1997). Pourtant, les relations humaines ne sont pas seulement des éléments accessoires, elles sont profondément liées à la manière dont se développent et perdurent les troubles psychologiques.
Des pionniers de la psychologie, comme John Bowlby et Harry Stack Sullivan, ont montré que les relations humaines sont au cœur de notre développement et de notre santé mentale. La théorie de l’attachement de Bowlby (1988), par exemple, démontre comment les premiers liens que nous établissons influencent durablement notre estime de soi, notre manière de réguler nos émotions et notre capacité à nous connecter aux autres. Sans un sentiment de sécurité dans nos premières relations, il devient difficile de construire une base émotionnelle stable, et les individus peuvent développer des réponses émotionnelles inadaptées qui peuvent évoluer en troubles comme l’anxiété, la dépression et les troubles de la personnalité (Fonagy et al., 2002 ; Mikulincer & Shaver, 2007).
Alors, une question fondamentale émerge : en négligeant les dimensions interpersonnelles, la psychologie moderne n’a-t-elle pas limité sa propre compréhension des racines des troubles mentaux ? Et si au lieu de chercher des réponses uniquement en nous-mêmes, nous placions nos relations humaines au cœur de notre exploration thérapeutique ? Car si chaque être humain est unique, il est également le produit de ses relations, de ses attachements, de ses amours et de ses conflits.
Mon approche humaniste, en tant que psychologue, repose sur cette conviction. Les problématiques de chacun ne sont pas exclusivement « internes » ou « externes », mais émergent dans cet espace intermédiaire entre soi et l’autre, dans la qualité et la nature des relations interpersonnelles. Mon travail thérapeutique consiste à replacer ces relations au centre du processus, en explorant les schémas relationnels formés depuis l’enfance et en accompagnant mes patients dans la déconstruction de ces modèles afin de se libérer des répétitions qui les entravent. À travers cet article, je vous invite à redécouvrir cette dimension souvent négligée en thérapie. Ensemble, nous explorerons comment une approche centrée sur les relations peut enrichir le travail psychologique et révéler des ressources insoupçonnées pour la guérison et l’épanouissement.
2. Les limites de la psychologie fondamentale et le manque de focus sur les relations
Rappels sur la psychologie fondamentale
La psychologie fondamentale s’est longtemps concentrée sur les processus mentaux et comportementaux internes, explorant la perception, la mémoire, la cognition, la motivation et l’émotion (Eysenck & Keane, 2010). Cette approche, en se basant sur des méthodes expérimentales rigoureuses, a permis de jeter les bases d’un savoir solide en matière de fonctionnement intrapsychique. Elle met notamment en avant la biologie et la cognition comme fondements essentiels des comportements humains, et a permis de mieux comprendre les bases neurologiques de la pensée et des émotions.
Cette perspective a incontestablement fait progresser la compréhension des processus internes. Cependant, elle tend aussi à enfermer l’individu dans une analyse isolée, où les relations interpersonnelles ne jouent qu’un rôle périphérique. En se focalisant principalement sur les mécanismes internes, la psychologie fondamentale a contribué à une vision partiellement limitée de l’être humain, où les influences relationnelles et sociales sont souvent marginalisées dans l’analyse des troubles psychologiques (Fonagy & Target, 2003).
Les limites de l’approche centrée sur l’individu
Cette approche centrée sur l’individu présente des limites notables lorsqu’il s’agit de comprendre les origines de la souffrance psychologique. En se focalisant principalement sur les processus intrapsychiques, la psychologie fondamentale ne parvient pas toujours à intégrer l’impact des relations interpersonnelles sur la santé mentale. Cette perspective « isolée » conceptualise souvent les troubles comme des processus internes, ignorant parfois la dynamique sociale et relationnelle qui joue un rôle majeur dans leur développement, leur maintien, et même leur guérison.
Les recherches en attachement démontrent pourtant que la qualité des premières relations influence le développement émotionnel et social de l’enfant, avec des répercussions à long terme sur ses schémas relationnels et sa perception de soi à l’âge adulte (Bowlby, 1988 ; Ainsworth et al., 1978). Des études montrent également que les carences relationnelles jouent un rôle direct dans des troubles comme la dépression ou l’anxiété sociale (Weissman et al., 2000). Ainsi, omettre l’influence des relations, c’est négliger des éléments essentiels à la compréhension de nombreux troubles psychologiques.
3. L’importance fondamentale des relations interpersonnelles dans le développement et les troubles psychologiques
Les relations comme socle du développement personnel
Dès les premiers instants de la vie, les relations interpersonnelles constituent le socle sur lequel repose tout le développement psychologique. Les interactions précoces, notamment avec les figures d’attachement, offrent un cadre de sécurité qui permet à l’enfant de commencer à se comprendre lui-même, à réguler ses émotions et à construire son identité (Bowlby, 1988).
Ces relations initiales influencent non seulement la manière dont un individu se perçoit, mais aussi sa capacité à établir des relations saines. Les travaux d’Ainsworth et de Main montrent que les enfants ayant un attachement sécurisant avec leurs parents développent une estime de soi plus solide, une régulation émotionnelle plus stable, et une meilleure autonomie (Ainsworth et al., 1978 ; Main & Solomon, 1986). À l’inverse, des enfants issus d’environnements insécurisants risquent de développer des schémas émotionnels et relationnels fragiles, qui pourront impacter leur bien-être tout au long de leur vie.
Les schémas relationnels et leurs impacts
Les schémas relationnels, ou modèles internes des relations, se forment dès l’enfance en réponse aux comportements des figures d’attachement. Ces schémas influencent ensuite les relations futures, déterminant nos attentes et guidant nos réponses émotionnelles et comportementales. Par exemple, un enfant qui a vécu le rejet dans ses relations peut développer un schéma relationnel de peur de l’abandon, ce qui peut affecter ses relations amoureuses, amicales et professionnelles.
Les recherches sur les troubles de la personnalité montrent également comment des schémas d’attachement dysfonctionnels peuvent mener à des comportements d’instabilité émotionnelle et relationnelle. Ces « scripts » influencent profondément la perception des comportements d’autrui et déclenchent parfois des réponses émotionnelles inappropriées. En d’autres termes, ces modèles façonnent notre expérience des relations et contribuent aux troubles psychologiques (Zanarini et al., 2000).
Exemples de problématiques liées aux relations
Les relations interpersonnelles dysfonctionnelles peuvent générer diverses problématiques psychologiques. Par exemple, une personne ayant grandi dans un environnement familial instable peut développer une anxiété sociale, marquée par une peur intense d’être jugée ou rejetée (Rapee & Spence, 2004). De même, un manque de soutien parental peut mener à une faible estime de soi et prédisposer à la dépression (Brown & Harris, 1978).
Ainsi, l’impact des relations sur la construction de l’identité est indéniable. Replacer les relations interpersonnelles au cœur de la thérapie permet donc une compréhension plus profonde et un accompagnement plus adapté.
4. L’approche humaniste et relationnelle : replacer les relations au centre du processus thérapeutique
Présentation de l’approche
Mon approche humaniste vise à considérer chaque individu dans sa globalité, en intégrant ses expériences personnelles ainsi que la qualité de ses relations. Loin de se limiter à une analyse individuelle, cette approche repose sur la conviction que nos interactions influencent directement notre bien-être. Elle prend en compte les relations passées et présentes pour comprendre comment celles-ci ont façonné la personnalité et le vécu de chaque patient.
Je m’efforce de créer un espace thérapeutique authentique, où chaque patient peut expérimenter et comprendre ses émotions en lien avec les autres. Cette approche relationnelle permet de traiter les blessures et schémas dysfonctionnels, mais aussi de valoriser la résilience et le potentiel de chacun à transformer ses relations.
Techniques et pratiques spécifiques
Pour explorer les relations interpersonnelles, j’utilise plusieurs techniques, notamment la thérapie de groupe et la thérapie des schémas. La thérapie de groupe permet aux patients d’expérimenter de nouvelles dynamiques relationnelles dans un cadre sécurisant, abordant des thèmes tels que la communication et la confiance. En parallèle, des exercices spécifiques sur les schémas relationnels permettent d’identifier et de déconstruire les comportements problématiques, en explorant les origines de chaque schéma et en encourageant de nouveaux modèles de relations.
Bénéfices pour les patients
Les patients qui intègrent cette dimension interpersonnelle dans leur travail thérapeutique rapportent souvent un sentiment de libération, une amélioration de l’estime de soi, et une réduction des symptômes dépressifs et anxieux. Les études montrent d’ailleurs que les thérapies centrées sur les relations sont particulièrement efficaces pour traiter les troubles de l’attachement et améliorer la régulation émotionnelle (Johnson, 2004).
Synthèse de l’idée principale
En conclusion, il est essentiel de reconnaître que les relations interpersonnelles constituent une clé fondamentale dans la compréhension et la guérison des troubles psychologiques. Loin d’être de simples contextes dans lesquels se déroulent nos vies, ces relations sont des acteurs majeurs qui façonnent notre identité, influencent nos émotions et conditionnent notre santé mentale. Les schémas relationnels que nous développons dès notre enfance ont un impact durable sur notre comportement et notre perception de nous-mêmes et des autres. En intégrant cette dimension relationnelle dans le processus thérapeutique, nous offrons aux patients une voie vers la guérison qui reconnaît et valorise la richesse de leurs expériences relationnelles.
Je suis persuadée que les relations humaines ne sont pas juste un « décor » de nos vies, mais bien le cœur de notre expérience. Elles influencent nos pensées, nos émotions et nos comportements, souvent bien plus que nous ne le réalisons. À travers chaque lien, chaque interaction, nous construisons une vision de nous-mêmes et des autres. Malheureusement, quand nos relations sont teintées de blessures ou de schémas répétitifs, elles peuvent devenir source de souffrance et d’auto-sabotage. C'est là que, pour moi, la thérapie prend tout son sens : elle offre un espace pour questionner et revisiter ces liens afin d’y voir plus clair et de trouver de nouvelles façons d’interagir.
Dans ma pratique, je choisis d’aller au-delà des simples symptômes ou des explications individuelles. Plutôt que de penser la thérapie comme un « remède » qui se limite à l’individu, je la vois comme un moyen de décoder et de transformer les relations qui marquent la vie de chacun·e. Nos liens sont parfois construits autour de peurs, de dépendances ou de blessures d'attachement, et mon rôle est d'aider mes patients à explorer ces aspects pour comprendre comment ils influencent leur quotidien et leurs choix.
Ce travail peut inclure la revisite des premières relations marquantes, celles qui ont forgé nos premiers modèles d'attachement et qui continuent, souvent de manière inconsciente, de définir nos attentes envers les autres. Je propose également des exercices pratiques pour reconnaître les schémas relationnels en action aujourd’hui, que ce soit dans le couple, la famille, ou les amitiés. Par exemple, des exercices de reconstitution de dialogues, des jeux de rôle ou l’analyse des situations concrètes permettent d’éclairer des comportements qui peuvent être profondément ancrés.
Je crois aussi à la puissance du groupe. Dans certains cas, des thérapies de groupe ou des exercices collectifs offrent aux participants la possibilité de redéfinir la manière dont ils se positionnent face aux autres et de tester de nouvelles manières de communiquer dans un cadre sécurisant. Ces exercices permettent d’expérimenter en direct des changements relationnels, de poser des limites et de cultiver la confiance, autant d’aspects essentiels pour instaurer des relations plus harmonieuses dans la vie réelle.
Mon objectif est que chaque personne reparte de nos séances en ayant déconstruit et, à terme, reconstruit ses relations sur des bases plus saines. Plus qu’un simple apaisement des symptômes, cette démarche ouvre la porte à une transformation profonde, permettant de retrouver une liberté d'être et d'interagir en accord avec soi-même. Vous n’êtes pas prisonnier·ère de vos relations passées : avec une exploration sincère et des outils adaptés, il est tout à fait possible de vivre des relations plus riches et plus épanouissantes.
C’est une démarche engagée, une invitation à se questionner en profondeur sur l’influence de ses relations et sur ce qu’elles racontent de soi. Mon espoir, à travers cette approche, est de permettre à chacun de se réapproprier ses interactions, pour qu’elles soient enfin une source de soutien et de croissance personnelle, et non plus un obstacle à surmonter.
Invitation à la réflexion et ouverture
Je vous invite à réfléchir sur vos propres relations et sur l'impact qu'elles ont sur votre bien-être psychologique. Quelles dynamiques relationnelles vous soutiennent et lesquelles pourraient nécessiter une attention particulière ? En prenant le temps d’explorer ces questions, vous pourriez découvrir des schémas qui influencent votre vie de manière plus profonde que vous ne l’aviez réalisé. N'oubliez pas que la transformation des relations commence souvent par une prise de conscience et une volonté d'explorer les connexions qui nous définissent. En nous engageant sur cette voie, nous ouvrons la porte à une vie plus riche et plus authentique, tant sur le plan personnel que relationnel.
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